L’amour, lui, naîtra peut-être par la suite. Pour l’heure, il s’agit de donner des foyers stables à des enfants en unissant des mères de famille veuves ou divorcées à des hommes libres, à Kano, la grande métropole du nord majoritairement musulman.
C’est au tour d’Amina Adamu. Sac à main sous le bras, elle avance vers le policier barbu assis derrière une longue table, qui vient d’appeler son nom.
Il lui pose une liste de questions – nom, sources de revenus, nombre d’enfants – tandis que des collègues appellent d’autres femmes.
A 38 ans, Amina est parmi les premières mères célibataires à avoir répondu à l’appel de la hisbah, la police religieuse de Kano. L’instance chargée de veiller au respect de la morale islamique a notamment diffusé des annonces à la radio depuis février.
Les cent premiers couples se sont unis lors d?une cérémonie collective mardi à Kano.
« Nous allons continuer à conduire les mariages groupés et aurons prochainement un nouveau mariage de cent femmes déjà sélectionnées », a déclaré après la cérémonie Aminu Daurawa, le chef de la hisbah.
Face à un cycle incessant de violences meurtrières attribuées au groupe islamiste Boko Haram, les autorités espèrent répondre à différents problèmes sociaux, notamment en offrant aux enfants dont les pères sont absents des foyers stables.
Les troubles imputés aux extrémistes ont fait plus de 1.000 morts depuis mi-2009, principalement dans le nord, et les observateurs jugent que les nombreux jeunes sans emploi ni soutien sont plus enclins à devenir violents.
Alors que des groupes féministes pourraient froncer les sourcils, la hisbah souligne que toutes les participantes sont volontaires.
“Avec la situation sécuritaire actuelle à Kano, les enfants sans réel encadrement familial risquent davantage d’être influencés par ces tendances extrémistes”, estime Nabahani Usman, directeur adjoint de la hisbah.
“Il est très important qu’ils soient protégés de ces éléments destructeurs à travers ce programme qui leur offre une vie de famille stable, où leur mère et leur beau-père s’occupent d’eux”, dit-il.
L’initiative a en tout cas suscité l’intérêt de centaines d’hommes et de femmes, dans une région où les mariages organisés sont communs.
Une fois un test HIV obligatoire effectué, candidates et candidats peuvent se rencontrer dans les locaux de la hisbah, pour se choisir.
Ceux qui ne veulent pas attendre les mariages groupés organisés par la Hisbah peuvent convoler dès qu’ils le souhaitent.
“J’ai besoin d’un mari mûr, sincère et attentionné”, dit Amina Adamu. “C’est pour cela que je souhaite que la hisbah soit impliquée dans mon choix, car je veux de la sécurité dans mon mariage”.
Dans une cour devant le bâtiment, des hommes attendent aussi leur tour pour l’entretien de sélection. Il leur est notamment demandé d’expliquer pourquoi ils souhaitent se marier.
Certains sont divorcés ou veufs, d’autres célibataires et d’autres encore, mariés, veulent prendre une épouse supplémentaire, l’islam permettant d’avoir jusqu’à quatre femmes.
L’argent est aussi un facteur important.
Ismail Ibrahim, enseignant célibataire âgé de 25 ans, n’a pas les moyens de se marier en raison de la dot. A Kano, son montant varie traditionnellement de 10.000 à 20.000 nairas (63 à 126 dollars).
Dans le cadre de son initiative, la hisbah prend en charge la dot et verse un petit pécule pour l’installation du jeune couple.
Ainsi, la hisbah a payé 10.000 nairas (63 dollars) pour la dot des premiers mariés, mardi, et leur a fourni des meubles et équipements de cuisine, de même qu?un capital de 15.000 nairas (95 dollars) pour pouvoir lancer une affaire, a expliqué Aminu Daurawa.
“C’est assez cher d’épouser une jeune femme, c’est pour cela que je veux prendre part à cette initiative, pour que je puisse épouser la femme de mon choix à moindre coût”, explique un candidat au mariage, Ismail Ibrahim.
Altine Abdullahi, directrice à Kano d’une ONG s’occupant de veuves, de divorcées et d’orphelins qui a fourni les candidates, s’inquiète des divorces en hausse.
“Les gens changent d’épouse comme de chemise”, regrette-elle.
Quand les enfants se retrouvent “sans soutien paternel” ils peuvent devenir “des menaces pour la société”, estime Mme Abdullahi, relevant que “la plupart des criminels adolescents proviennent de foyers qui ont éclaté”.
Les hommes prenant part au programme ne peuvent quitter leur nouvelle femme sans l’autorisation de la police religieuse.
“Je ne vais pas précipiter mon choix”, dit Hajara Adamu, veuve de 48 ans. “Je veux un mari responsable, respectable et mûr, et je suis sûre que je vais le rencontrer ici”.
Parmi les candidats moins jeunes, il y a Muhammad Tukur. A 75 ans, il cherche une troisième épouse.